L’impact silencieux de la pression hiérarchique : un obstacle à l’intelligence collective
Inès est une manager appréciée de son équipe. Elle veille à maintenir une atmosphère collaborative et encourage régulièrement ses collaborateur·ices à proposer de nouvelles idées. Mais, malgré son engagement et l’ouverture apparente de son équipe, l’innovation reste en panne. Les idées novatrices émergent rarement et les solutions proposées manquent d’originalité. Inès a pourtant l’impression d’être à l’écoute et de favoriser un environnement où chacun·e peut s’exprimer librement. En y réfléchissant bien, elle perçoit un décalage entre son intention et la réalité des échanges. Quelque chose empêche l’intelligence collective de véritablement émerger, mais quoi ?
Lorsque la pression hiérarchique entrave l’intelligence collective
En creusant un peu plus, on remarque que, bien qu’Inès encourage la libre expression des idées, elle a souvent tendance à donner son avis en premier. Ceci émane sûrement de la bonne intention de lancer le débat, mais la conséquence est que naturellement, les membres de son équipe s’alignent sur son opinion. La conformité sociale, qui désigne la tendance des individus à s’aligner sur le groupe, est ici exacerbée par l’effet d’autorité. Lorsqu’une figure hiérarchique exprime une opinion, les employé·es, consciemment ou non, ressentent une pression implicite à la suivre.
Ce phénomène est renforcé par un biais d’égocentrisme fréquent chez les managers, qui les pousse inconsciemment à accorder plus de poids à leurs propres idées. Sans le vouloir, il·elles ont tendance à minimiser ou à ignorer les propositions alternatives, ce qui décourage les collaborateur·ices de s’exprimer. À force de sentir que leurs contributions ne sont pas pleinement prises en compte, ces dernier·ères se retirent progressivement des discussions, restreignant la diversité des perspectives et freinant l’innovation.
Or, l’intelligence collective, qui désigne la capacité d’un groupe à résoudre des problèmes en combinant les savoirs et compétences de chacun·e, repose sur la diversité des idées et sur un climat de sécurité psychologique. Pour que chacun·e ose proposer des solutions originales, il est essentiel de se sentir encouragé·e et libre de s’exprimer. Mais lorsque la conformité sociale domine, la richesse des contributions s’amenuise et la dynamique d’innovation s’affaiblit.
Le tabou des émotions au travail nuit à la créativité et à l’entraide
En outre, bien qu’Inès cherche à encourager l’expression des idées, elle a tendance à taire ses propres émotions et difficultés. Persuadée que son rôle est de rester positive pour motiver son équipe, elle évite de verbaliser son stress ou ses incertitudes. Cette suppression des émotions peut créer une atmosphère où certaines thématiques – pression, incertitude, fatigue – deviennent taboues. Les membres de l’équipe, voyant leur manager adopter cette posture, hésitent à exprimer leurs ressentis à leur tour. Or, les émotions sont des réactions naturelles essentielles qui nous aident à agir et à interagir de manière adaptée. Les réprimer nuit autant à l’équilibre personnel qu’à la qualité des relations.
Cet effet peut être amplifié par la pression liée aux attentes élevées, aux objectifs ambitieux et aux délais serrés imposés par la hiérarchie. Lorsque ces contraintes s’accumulent, les collaborateur·ices se concentrent davantage sur l’exécution rapide des tâches que sur l’échange d’idées. Ils et elles ne prennent pas le temps de partager leurs difficultés pour se décharger, chercher des solutions ou de l’entraide. Ils et elles peuvent également craindre que partager leurs difficultés soit mal perçu ou qu’exprimer une idée innovante vienne perturber l’efficacité immédiate du travail. Peu à peu, cette dynamique s’auto-renforce : chacun·e retient ses émotions et ses idées et se conforme aux attentes, au détriment de l’innovation et de l’intelligence collective.
Le partage émotionnel joue pourtant un rôle clé dans le groupe. En verbalisant leurs émotions et leurs préoccupations, les équipes renforcent la confiance et la qualité des relations. Lorsque les tensions restent implicites, elles fragilisent la communication et limitent ainsi l’émergence d’idées innovantes. Un climat où les émotions sont exprimées de manière constructive permet non seulement de mieux gérer le stress, mais aussi de favoriser la créativité.
Les leviers pour renforcer l’intelligence collective et l’innovation
- Instaurer un climat de sécurité psychologique : Encourager un environnement où chacun·e ose s’exprimer librement, sans crainte des répercussions. Cela passe notamment par une posture d’écoute active et bienveillante de la part des managers.
- Valoriser la diversité des idées : Éviter de donner son avis en premier lors des discussions pour laisser aux collaborateur·ices la possibilité d’explorer différentes pistes. Favoriser des méthodes collaboratives comme le brainstorming anonyme ou les discussions en petits groupes.
- Créer des espaces d’échanges : Multiplier les moments d’échange informels et ritualiser des réunions en tête à tête. Ces espaces favorisent le partage émotionnel. Les managers ont un rôle clé à jouer en montrant l’exemple et en partageant eux-mêmes certaines de leurs difficultés.
Retrouver l’ensemble de notre série d’article sur la motivation au travail en suivant ce lien.
Conclusion
L’innovation ne naît pas uniquement d’une incitation à proposer des idées, mais d’un environnement qui favorise l’expression libre et la diversité des contributions. Lorsque la conformité sociale et la suppression émotionnelle prennent le dessus, elles freinent la créativité et limitent la capacité d’une équipe à innover. En instaurant un climat de sécurité psychologique, en valorisant le partage émotionnel et en atténuant la pression hiérarchique, les managers peuvent libérer le potentiel de leur équipe et transformer leur collectif en un véritable moteur d’innovation.