Télétravail et capital social : quand la distance fragilise les liens et amplifie les biais.

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Le télétravail n’est pas le problème. Mais sans pratiques adaptées, il peut fragiliser les liens et renforcer les biais cognitifs. Découvrez comment préserver le capital social à distance pour éviter tensions et malentendus.
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Jordany Lacombe

Publié le 22 avril 2025

Silhouettes de personnes dans des bulles transparentes, représentant l’isolement relationnel dû au travail à distance.

Une équipe dispersée… et des tensions qui émergent.

Depuis plusieurs mois, l’équipe de Julie fonctionne en mode hybride : certain·es collègues viennent au bureau quelques jours par semaine, tandis que d’autres travaillent exclusivement à distance. Au fil du temps, elle a remarqué une évolution subtile, mais préoccupante : les discussions informelles se raréfient et une méfiance diffuse semble s’installer entre les membres de l’équipe. Certain·es se plaignent d’un manque de communication, d’autres ressentent une forme d’isolement. Plus inquiétant encore, des tensions naissent autour de malentendus de plus en plus fréquents dans les échanges écrits.

 

Pourtant, tout le monde s’accorde à dire que le télétravail présente de nombreux avantages. Alors pourquoi l’équipe de Julie semble-t-elle en subir des effets négatifs ?

Quand la perte de capital social fragilise la qualité des relations.


Bien sûr, le problème ne vient pas du télétravail en soi, qui est un outil précieux de flexibilité, qui permet aux individus de pouvoir gérer plus librement leur temps et de s’alléger de certaines contraintes (déplacements, espaces de travail bruyants, etc.). Cependant, si l’on n’y prête pas attention, le télétravail peut parfois mettre à mal le capital social. Ce dernier représente l’ensemble des liens interpersonnels, des normes de confiance et des dynamiques relationnelles qui facilitent la collaboration au sein d’un groupe. Il constitue un socle essentiel au bien-être, à l’engagement et à la qualité du travail collectif.

En présentiel, ce capital social peut se construire naturellement, lorsque l’environnement de travail le permet, à travers les discussions informelles, les pauses et les interactions spontanées. Ces moments permettent de mieux se connaître, d’ajuster notre perception des autres, de créer des liens et de renforcer la confiance mutuelle. Or, lorsque les membres d’une équipe ne se croisent pas ou très peu au bureau, ces interactions tendent à se réduire drastiquement. À distance, les échanges deviennent plus fonctionnels, souvent limités aux besoins professionnels immédiats, et les opportunités de consolider un lien social s’amenuisent.

Cette réduction des interactions informelles entre les individus peut également accroître la distance sociale au sein de l’équipe, déclenchant un cercle vicieux où certains biais cognitifs se renforcent. Le biais de groupe, par exemple, peut pousser les individus à favoriser les collègues qu’ils·elles côtoient le plus fréquemment. Dans le cas de l’équipe de Julie, celles et ceux qui sont plus souvent au bureau échangent davantage d’informations et renforcent leurs liens, tandis que les télétravailleur·euses, exclu·es de ces échanges informels, peuvent se sentir mis·es à l’écart. À mesure que ces échanges se raréfient, il devient plus difficile de percevoir les difficultés ou les besoins de ces collègues à distance. Cette perte de visibilité renforce d’autant plus un biais d’empathie, c’est-à-dire la tendance à ressentir plus d’empathie pour certaines personnes que pour d’autres, en fonction de notre proximité sociale. Moins on partage d’interactions avec une personne, moins on aura l’opportunité de lui partager nos difficultés, et par conséquent moins, elle sera encline à nous proposer son aide spontanément ou à soutenir nos projets.

En revanche, pour celles et ceux avec qui l’on interagit fréquemment, ces échanges nourrissent plus naturellement la collaboration et l’entraide. Ainsi, le fait de ne pas se rencontrer régulièrement au travail peut affecter les relations interpersonnelles, et alimenter des inégalités dans la répartition des informations et des opportunités au sein de l’équipe, si l’on n’agit pas proactivement pour l’éviter. Une fois installé, ce climat peut générer une méfiance croissante entre les différents groupes de collègues.

Quand la communication devient un terrain miné.


Avec moins d’interactions en face à face, la majorité des échanges passe alors par des canaux écrits (emails, messageries instantanées etc.). Or, la communication interpersonnelle ne se résume pas à un simple échange d’informations : elle permet de tisser des liens, de fluidifier la collaboration et d’assurer une bonne compréhension mutuelle. Lorsqu’elle devient plus distante et fragmentée, les ajustements naturels qui évitent les quiproquos se raréfient, et les malentendus s’accumulent : l’absence de signaux non verbaux complique l’interprétation des messages ; les réponses rapides, parfois laconiques, peuvent être perçues comme du désintérêt ou de l’agressivité ; l’accumulation d’incompréhensions mineures peut progressivement détériorer la fluidité des échanges.

Le biais de négativité joue ici un rôle majeur : face à un signal ambigu, d’autant plus à l’écrit, nous pouvons avoir tendance à opter inconsciemment pour une interprétation négative. Ainsi, en l’absence de signaux non-verbaux, un simple « OK. » peut être interprété comme une marque d’agacement, alors qu’il véhicule avant tout l’accord. Dans l’équipe de Julie, ce phénomène a entraîné des tensions croissantes autour de messages mal compris : un retour bref sur un projet a semblé abrupt, un silence prolongé a été perçu comme du désintérêt, et les échanges autrefois fluides sont devenus plus formels, voire rigides. Peu à peu, ces incompréhensions ont fragilisé la dynamique de travail et ont compliqué la coordination au sein de l’équipe.

Ainsi, si les managers ne sont pas vigilant·es aux dynamiques à l’oeuvre dans leurs équipes, et n’adaptent pas les modes de communication et d’organisation du travail en conséquence, le télétravail peut paradoxalement nuire à la collaboration qu’il est censé fluidifier, en réduisant les contraintes géographiques, et en offrant plus de flexibilité.

Préserver le capital social à distance : des leviers concrets.


Si le télétravail peut mettre à mal la qualité des relations, il est tout à fait possible de les préserver, voire de les renforcer avec des actions adaptées. Voici quelques pistes :

  1. Créer des opportunités de rencontre régulières, formelles ou informelles : Prévoir des temps de travail en présentiel, des temps informels ritualisés de façon hebdomadaire (en veillant à alterner le créneau une semaine sur 2 pour qu’un maximum de personnes puissent en bénéficier) ou des séminaires semestriels pour entretenir la cohésion et resserrer les liens entre collègues.
  2. Expérimenter des rituels “virtuels” d’équipe : Organiser des moments dédiés aux échanges non professionnels (cafés virtuels, discussions libres en début de réunion) pour maintenir du lien et renforcer la confiance.
  3. Encourager la communication asynchrone et explicite : Privilégier des messages clairs et détaillés, éviter les formulations ambiguës, et ne pas hésiter à reformuler en cas de doute.

Conclusion : un télétravail réussi passe par une culture du lien

Le télétravail n’est pas une menace pour le capital social, mais il peut le mettre à l’épreuve lorsqu’on n’y prête pas suffisamment attention. En l’absence d’initiatives pour les consolider, les liens peuvent se distendre, la confiance peut s’éroder et les biais cognitifs se retrouver exacerbés, affectant la qualité des relations et du travail collaboratif.

Plutôt que d’opposer télétravail et présence au bureau, l’enjeu est donc de créer une culture du lien adaptée aux nouvelles formes d’organisation du travail. Car au-delà des outils et des modalités, c’est bien la qualité des relations qui fait la force d’une équipe, à distance comme en présentiel.

Retrouver l’ensemble de notre série d’article sur la motivation au travail en suivant ce lien.

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