En 2004, une charte de la diversité en entreprise était signée par plus de 4000 entreprises françaises tandis qu’en 2016, le ministère du Travail lançait une campagne de sensibilisation nationale, #lescompétencesdabord, afin de promouvoir la diversité au sein des entreprises. Si les chiffres disent une amélioration (deux collaborateur·rice·s sur trois estimaient, en 2019, qu’il y avait une « politique diversité » dans leur entreprise [1]), les comportements discriminants et excluants continuent d’occuper une place trop importante. Qu’est-ce qui ne fonctionne pas dans les campagnes de diversité – et comment les améliorer ? Éléments de réponse avec les recherches en sciences comportementales.
Les formations sur la diversité bénéficiant d’un programme de plusieurs jours obtiennent de meilleurs résultats, selon la littérature scientifique, que les formations ponctuelles (sur une journée ou une demi-journée). Car les formations courtes se concentrent généralement sur les questions juridiques ou les sujets culturels larges. De fait, les apprenant·e·s n’acquièrent pas les connaissances pour développer des comportements plus inclusifs et réduire leurs stéréotypes.
Pourtant, ce sont bien les formations courtes qui sont les plus répandues dans les organisations [2]. Une formation inscrite dans un programme large visant un changement global de la culture de l’organisation favorise l’engagement.
Les programmes longs permettent, à l’inverse, de créer une communauté d’apprenant·e·s, de faciliter les échanges entre pairs, et une meilleure mise en perspective de leurs propres comportements, en particulier quand différents groupes sociaux y sont représentés.
Préférer des formations actives
Favoriser un changement de pratique implique d’avoir un regard sur la pédagogie mise en œuvre. Plutôt qu’un apprentissage passif (visionnage de vidéo, lecture d’articles ou de livres, conférences), on favorisera l’apprentissage actif, par le biais de mises en situation et d’exercices, plus efficace et dont les bienfaits s’inscrivent dans le temps. [3]
Les programmes longs permettent, à l’inverse, de créer une communauté d’apprenant·e·s, de faciliter les échanges entre pairs, et une meilleure mise en perspective de leurs propres comportements, en particulier quand différents groupes sociaux y sont représentés.
Les stratégies d’apprentissage actives amplifient et solidifient les réseaux de neurones, selon les recherches en sciences cognitives ; les connaissances et comportements ainsi appris s’inscrivent de manière plus significative et sont davantage susceptibles d’être mobilisés. Pour bien apprendre, il faudrait donc pouvoir interpréter, connecter, mettre en relation et élaborer les informations, et pas seulement les écouter ou les voir. [4]
Attention à l’effet ironique de suppression
Certains exercices ou apports proposés lors de formations à la diversité peuvent amener à des effets opposés à ceux recherchés. Plusieurs études montrent ainsi qu’essayer de taire nos stéréotypes amènerait paradoxalement à les exprimer, et à des comportements discriminatoires
Nommé , théorisé par le psychosociologue Daniel Wegner en 1994, a été mis en évidence au cours d’une expérience [5] : les participant·e·s devaient réagir dans un questionnaire sur des stéréotypes sur la communauté noire-américaine. Les membres d’un premier groupe recevaient la consigne d’essayer de taire leurs stéréotypes, au contraire de ceux du second groupe. Suite à quoi, chacun·e devait lire une histoire et donner son impression à propos du héros, un homme dont l’origine n’était pas précisée. Les résultats de l’étude ont montré que les participant·e·s du premier groupe (appelé·e·s à taire leurs stéréotypes lors de la première phase) jugeaient le héros de façon plus hostile, en lui prêtant davantage de traits en adéquation avec les stéréotypes négatifs sur les hommes appartenant à la communauté noire-américaine.
Supprimer les stéréotypes ne suffit pas !
Deux mécanismes cognitifs distincts seraient à l’origine de la réapparition des pensées que l’on essaye de supprimer. [6] Un premier mécanisme tente de détecter automatiquement les pensées qu’on essaye de supprimer, mais il doit les maintenir accessibles à la conscience pour pouvoir les identifier, les réactivant sans cesse en mémoire. Un deuxième mécanisme remplace les pensées supprimées par d’autres pensées, ce qui ne peut pas fonctionner si l’on ne crée pas spécifiquement une nouvelle « pensée de rechange ». Le fonctionnement de ce deuxième mécanisme serait d’ailleurs l’explication privilégiée de l’apparition de l’effet ironique de suppression après une formation à la diversité. En effet, on demande en général aux apprenant·e·s de bloquer leurs stéréotypes sur un groupe social en particulier, mais sans toujours prendre le temps de remplacer les stéréotypes supprimés par d’autres idées, plus justes et bienveillantes. [7]
Embarquer toute l’organisation pour de meilleurs résultats
D’après une méta-analyse de 2016 [2], les formations suivies sur la base du volontariat sont perçues plus favorablement par les collaborateur·rice·s. Les raisons de ce constat sont toutefois nuancées par le fait que ce sont les personnes ayant déjà des compétences sur la diversité, par intérêt ou apprentissage, qui y participent. Sensibilisées à ces questions, elles y sont particulièrement réceptives. Les autres collaborateur·rice·s, qui peuvent se sentir moins concerné·e·s, sont pourtant les plus susceptibles d’avoir des stéréotypes envers les minorités. Il peut en effet être difficile d’évaluer ses propres stéréotypes qui ne sont pas toujours conscients, et ne pas y être confronté·e directement n’aide pas à les rendre plus accessibles.
Selon la même méta-analyse, les formations obligatoires pour tou·te·s obtiennent parfois de meilleurs résultats. Une formation obligatoire pour tou·te·s montrerait l’implication de l’équipe dirigeante dans les problèmes de diversité et de discriminations, ce qui améliore l’engagement des participant·e·s.
Pour conclure
Pédagogie, exercices proposés, contexte général… Un grand nombre de paramètres jouent en défaveur des formations à la diversité mises en place dans les organisations. Il est donc crucial de repenser ces dispositifs, par exemple en se basant sur la recherche en sciences cognitives et comportementales pour amener plus de diversité au travail, mais également réduire les discriminations et leurs préjudices.
Références
[1] Cegos, État des lieux des discriminations et des politiques Diversité au travail, 2019
[2] K. Bezrukova, C. S. Spell, J. L. Perry, and K. A. Jehn, A Meta-Analytical Integration of over 40 Years of Research on Diversity Training Evaluation, Psychol Bull, vol. 142, no. 11, pp. 1227–1274, Nov. 2016
[3] Z. T. Kalinoski, D. Steele-Johnson, E. J. Peyton, K. A. Leas, J. Steinke, and N. A. Bowling, A Meta-Analytic Evaluation of Diversity Training Outcomes, Journal of Organizational Behavior, vol. 34, no. 8, pp. 1076–1104, 2013
[4] R. Bjork, J. Dunlosky, and N. Kornell, Self-Regulated Learning: Beliefs, Techniques, and Illusions, Annual review of psychology, 2013
[5] N. A. Wyer, J. W. Sherman, and S. J. Stroessner, The Spontaneous Suppression of Racial Stereotypes, Social Cognition, vol. 16, no. 3, pp. 340–352, Sep. 1998
[6] D. M. Wegner, Ironic Processes of Mental Control, Psychological Review, vol. 101, no. 1, pp. 34–52, 1994
[7] A. D. Galinsky and G. B. Moskowitz, Further Ironies of Suppression: Stereotype and Counterstereotype Accessibility, Journal of Experimental Social Psychology, vol. 43, no. 5, pp. 833–841, Sep. 2007