Quand la collaboration s’effrite : comprendre les mécanismes en jeu pour mieux agir.

#Construire des équipes soudées où émerge l’intelligence collective

Lorsque la collaboration s’effrite, c’est souvent le signe de mécanismes invisibles en jeu. Découvrez les clés pour restaurer confiance, inclusion et innovation.
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Jordany Lacombe

Publié le 22 avril 2025

Image de deux collègues en train de discuter

Quand la collaboration s’effrite : comprendre les mécanismes en jeu pour mieux agir.

Il y a peu, l’équipe Innovation et Développement fonctionnait avec fluidité : chacun·e avait sa place, les idées circulaient. Avec le démarrage d’un nouveau projet, l’équipe a revu ses façons de fonctionner et tout a changé. Julie a vu son rôle modifié sans consultation, Mathieu se retrouve avec des missions mal adaptées à son expertise, et Pierre, le manager, privilégie les emails pour structurer les échanges. Mais il constate peu à peu que les discussions informelles disparaissent, les réunions débutent dans le silence et Léa, récemment arrivée, ne s’exprime quasiment pas. L’énergie collective semble s’être dissipée. Malgré des compétences toujours solides, le projet stagne…

Pourquoi la qualité des relations s’est-elle détériorée ? Quels mécanismes sont impliqués ?

Cette détérioration ne résulte pas d’un seul facteur, mais d’un processus en cascade où plusieurs mécanismes interagissent et s’alimentent mutuellement : le capital social, les émotions, la communication interpersonnelle, l’inclusion et l’intelligence collective. Comprendre et tenir compte de ces cinq mécanismes fondamentaux est essentiel pour améliorer la qualité des relations, favoriser la fluidité des interactions et renforcer l’esprit d’équipe.


Le capital social comme premier domino : l’érosion de la confiance

Tout commence par une réorganisation imposée, sans consultation. Sous pression, Pierre redéfinit les rôles sans échanger avec son équipe. Julie, impliquée de longue date, se sent écartée. Mathieu, chargé de tâches qu’il maîtrise peu, est déstabilisé. Peu à peu, des sous-groupes se forment, les échanges informels se réduisent entre certains membres, et les liens se distendent. L’entraide spontanée laisse place à la réserve. Finalement, c’est le capital social, c’est-à-dire la quantité et la qualité des ressources sociales que nous avons à disposition, de relations de confiance et d’entraide mutuelle que nous formons, qui s’amenuise progressivement…

Développer un capital social fort est pourtant fondamental : Il est d’une part une source importante de bien être au travail, et il permet d’autre part de mieux se connaitre entre collègues, de développer la confiance entre les membres de l’équipe, et ainsi de fluidifier le travail d’équipe (par exemple, en facilitant l’échange d’informations et la coordination des tâches). À l’inverse, son érosion accentue la distance sociale entre les membres de l’équipe, risquant alors la fragmentation de l’équipe, l’instauration d’une certaine réserve entre les membres et l’altération de l’esprit d’équipe.

Mais ce n’est pas tout…

Quand l’émotion prend le dessus : frustration et ressentiment

Ce sentiment d’incompréhension génère de la frustration, qui se diffuse progressivement dans l’équipe. Julie, déçue par la manière dont son rôle a été redéfini, tente d’en parler à Mathieu. Mais celui-ci, lui aussi frustré, coupe court : il ne laisse aucun espace à Julie pour exprimer ce qu’elle ressent. Ce refus d’ouvrir un dialogue émotionnel est assez représentatif du climat de l’équipe : ici, les émotions dérangent, on les garde pour soi — à l’image de Pierre, leur manager, qui lui aussi évite systématiquement ces sujets. D’autres collègues, confrontés à des changements similaires, commencent à exprimer leur mécontentement lors de discussions informelles. Toutefois, personne n’ose exprimer son ressenti à Pierre. Cette tension se ressent dans l’ambiance générale. Certain·es deviennent plus silencieux·ce en réunion, d’autres tentent de réprimer leur agacement. Pierre, pourtant attentif, perçoit bien que quelque chose a changé, mais préfère éviter le sujet et se convainc que la situation finira par s’arranger d’elle-même.

La stratégie de régulation des émotions adoptée par l’équipe et par Pierre — fondée sur l’évitement de leur expression — ne fait qu’alimenter le ressentiment, sans jamais traiter le problème à sa source. Or, les émotions sont des réactions humaines naturelles, qui nous incitent à agir et à nous adapter à notre environnement. Elles constituent un puissant moteur du comportement : la joie, par exemple, favorise le lien social, tandis que la colère peut nous pousser à surmonter des obstacles. Mais sans une régulation émotionnelle appropriée, cette colère tue peut se transformer en une véritable bombe à retardement, mettant en péril la qualité des relations au sein de l’équipe.

Une communication en berne : multiplication des malentendus

Face à ce climat pesant, Pierre adopte une posture fréquente en période de tension : il réduit les interactions directes et privilégie les échanges par email. Pensant ainsi structurer les discussions et éviter les confrontations, il ne fait en réalité qu’aggraver la situation. En effet, la communication interpersonnelle est un processus dynamique et complexe d’échange de messages, verbaux et non verbaux. En fournissant des indications sur l’intention et la teneur émotionnelle du message, la communication non verbale (le ton de la voix, l’expression du visage etc.) joue un rôle essentiel dans la manière dont un message va être reçu. Plus on prive la communication de tout indice permettant de clarifier les intentions de l’émetteur·rice, plus on risque une ambiguïté dans la réception du message. Un simple email annonçant un changement de deadline peut être interprété comme une preuve de rigidité et de manque de considération pour la charge de travail des équipes.

En retour, les réponses deviennent plus sèches. Cette dégradation de la communication alimente un cercle vicieux : moins on échange, plus on interprète négativement les intentions des autres, et plus la confiance s’érode. Choisir le bon canal pour communiquer, savoir faire des feedbacks préservant le lien social, adapter son discours au niveau de connaissance des interlocuteur·rices, sont des compétences essentielles pour fluidifier les interactions, aborder les tensions et les divergences d’opinion de manière constructive et renforcer la sécurité psychologique au sein de l’équipe.

L’inclusion fragilisée : quand certain·es n’osent plus s’exprimer

Dans ce climat marqué par la réserve et le repli sur soi, les nouveaux·elles collègues peinent à trouver leur place. Léa, jeune développeuse récemment intégrée à l’équipe, ressent le malaise ambiant mais n’ose pas poser trop de questions, de peur d’être perçue comme trop insistante. Habib, commercial recruté il y a quelques mois, hésite à partager les retours des client·es. Conscient des stéréotypes qui circulent sur son métier, il craint d’être mal jugé — d’autant plus dans ce contexte tendu.

Autrement dit, les conditions nécessaires à une réelle inclusion ne sont plus réunies. Les nouveaux·elles arrivant·es, comme Léa et Habib, peinent à se sentir pleinement membres du collectif. Le sentiment d’appartenance est fragilisé par la raréfaction des interactions informelles, tandis que la reconnaissance des individualités — leurs idées, leurs expériences, leurs questionnements — est étouffée par la peur du jugement. Or, développer un environnement inclusif, c’est précisément créer un espace où chacun·e peut se sentir appartenir au collectif (équipe; organisation) tout en étant valorisé·e dans sa singularité. Ce que traverse l’équipe met en évidence la fragilité de cet équilibre : appartenir sans renoncer à son authenticité, s’exprimer sans redouter d’être mal perçu·e.

Et lorsque cette sécurité psychologique fait défaut, les échanges s’appauvrissent et les idées nouvelles peinent à émerger…

L’intelligence collective en panne : l’innovation étouffée

Privée de ces échanges riches et variés, l’équipe perd progressivement sa capacité d’innovation. Alors qu’elle disposait de toutes les compétences nécessaires pour créer des solutions innovantes, elle se retrouve petit à petit enfermée dans des schémas de travail qui se rigidifient. Chacun·e se concentre plutôt sur ses tâches sans vraiment chercher à interagir avec les autres. Les designers ne confrontent plus leurs idées aux ingénieur·es, et les membres de l’équipe commerciale ne remontent plus les besoins du terrain.

Or, la confrontation d’idées est un levier essentiel pour faire émerger l’intelligence collective — cette forme d’intelligence qui naît précisément de l’interaction entre les individus, aux parcours, aux perspectives, aux expertises variés. Mais pour qu’elle puisse se déployer, encore faut-il réunir les conditions nécessaires : une sécurité psychologique suffisante pour que chacun·e ose s’exprimer, et une culture qui valorise la divergence, les idées atypiques et la remise en question constructive.

Sans ces piliers, l’intelligence collective s’étouffe… et avec elle, les capacités collectives d’innovation.

Conclusion : des mécanismes invisibles mais puissants

Cet exemple illustre à quel point la dynamique collective repose sur des mécanismes souvent invisibles, qui ne se manifestent pleinement que lorsqu’il est déjà trop tard, et que des conflits éclatent.

Lorsqu’ils sont négligés, malmenés ou ignorés, ces cinq mécanismes deviennent rapidement des points de fragilité, altérant la qualité des relations, fragmentant les équipes, nourrissant les conflits, menaçant l’efficacité même du collectif. Mais lorsqu’ils sont cultivés, ils deviennent de véritables leviers d’efficacité, d’engagement et d’innovation. Ils favorisent la confiance, fluidifient les échanges, renforcent l’esprit d’équipe et font des idées divergentes une force plutôt qu’un tabou.

Ainsi, développer des organisations où la qualité des relations est au cœur des préoccupations, c’est bâtir des équipes qui savent collaborer efficacement et s’adapter avec agilité aux défis complexes et constants auxquels les organisations sont confrontées.

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