Lire encore et encore une même phrase sans la comprendre… Manquer de précision sur la tâche en cours après plusieurs heures de travail… De telles baisses d’efficacité sont naturelles : avec le temps, une fatigue mentale s’installe, tout le cerveau s’en trouve affecté. Comme notre corps, notre cerveau a besoin de pauses pour récupérer et être en mesure de fournir de nouveaux efforts.
Les Français prennent peu de pauses
Un sondage mené par BVA pour Club Média RH en 2017 a montré que deux tiers des répondant·e·s prennent moins de trente minutes de pause par jour (sans compter la pause-déjeuner), et un tiers en prend moins de quinze minutes [1]. Pourtant, ces répondant·e·s sont plus de 90% à estimer que la pause augmente la productivité et le bien-être des collaborateur·rice·s.
Pourquoi faut-il favoriser les pauses au travail ? Qu’est-ce qu’une bonne pause ? Les résultats de la recherche en sciences cognitives permettent de mieux définir la fatigue mentale et ses conséquences, et de comprendre comment s’en prémunir.
La fatigue mentale, c’est quoi exactement ?
La fatigue mentale est une incapacité à atteindre ou maintenir une performance maximale à la suite d’une activité mentale prolongée. La mobilisation de nos ressources mentales sur un temps long (de plusieurs dizaines de minutes à plusieurs heures selon l’activité), entraîne un changement dans le fonctionnement du cerveau, qui se manifeste dans une transformation de nos comportements :
- notre efficacité et capacités d’attention s’altèrent. Nous faisons davantage d’erreurs car nous sommes moins capables de détecter les informations liées à l’activité en cours [2] ;
- nos temps de réaction augmentent. Le contrôle de notre propre attention diminue : il nous est plus compliqué de faire abstraction des sollicitations extérieures, et donc de rester concentrer [3] ;
- notre capacité à prendre des décisions s’altère. Une étude de 2015 menée par une équipe de recherche française a montré que des individus, après avoir passé six heures sur une même activité, développaient un biais d’impulsivité lors de leur prise de décisions. Les participant·e·s préféraient accumuler des gains sur le court terme plutôt que de maximiser des gains plus importants sur le long terme [4]. Prendre des décisions après de longues réunions serait ainsi à éviter: sous l’effet de la fatigue mentale, elles pourraient être biaisées et ne pas bénéficier au collectif ou à l’entreprise sur le long terme. Selon cette étude, la fatigue altère le fonctionnement du cortex préfrontal, une zone impliquée dans le contrôle de soi et des comportements.
- Une autre équipe de recherche a montré que c’est le fonctionnement général du cerveau qui serait altéré sous l’effet de la fatigue mentale. Toutes les zones cérébrales s’activeraient alors moins bien et moins intensément, et notre cerveau se mettrait dans un état proche de celui dans lequel il entre quand nous dormons [5].
La fatigue mentale a ainsi de nombreux effets négatifs sur notre cerveau et son fonctionnement. Il est donc essentiel de le ménager tout au long de la journée pour gagner en efficacité.
Tant de manières de faire une pause…
La fatigue mentale pourrait s’expliquer par le fait que notre cerveau consomme des ressources mentales pour traiter une activité. Si l’activité dure trop longtemps, alors les ressources s’épuisent et notre cerveau fonctionne moins bien [6].
Pour restaurer les ressources mentales, il est judicieux de passer à une autre activité, la plus différente possible : autrement dit, il faut faire une pause ! Une étude chinoise a montré que ne rien faire même brièvement après plusieurs heures passées sur une même activité permettait de gagner en efficacité sur la tâche [7]. Si votre activité est plutôt sédentaire, en position assise, une pause récupératrice serait alors de mobiliser votre corps en allant faire un tour.
Quels sont les comportements les plus propices à une meilleure récupération ? Selon une étude réalisée en 2015 par une équipe de scientifiques australien·ne·s, être au contact d’éléments naturels a un impact très favorable dans la restauration des ressources mentales. [8] Cette étude semble indiquer qu’il est préférable de faire des pauses dans des milieux arborés et incluant la nature (dans un parc ou une pièce avec des plantes), plutôt que dans un environnement urbain. Pratiquer une activité physique pendant la pause aide aussi à accélérer la restauration des ressources de notre cerveau, selon une étude française [3]. L’activité physique participe à l’oxygénation du cerveau, ce qui aide à restaurer ses ressources et donc à supprimer la fatigue mentale.
La motivation, autre levier pour limiter la fatigue mentale
La fatigue mentale n’apparaîtrait pas uniquement parce que les ressources mentales s’épuisent, mais parce que nous perdrions en motivation après avoir réalisé la même activité pendant plusieurs heures. [9]. Outre la pause, tout élément pouvant maintenir ou faire remonter la motivation pourrait limiter l’installation et les effets de la fatigue mentale.
Une équipe de recherche a montré que des participant·e·s impliqué·e·s dans une tâche durant deux heures trente maintenaient davantage leurs performances s’il y avait à la clé une rétribution financière [9]. Des motivations plus personnelles comme le fait de prendre plaisir dans une activité ou d’en tirer un bénéfice (amélioration de nos compétences, satisfaction) peut aussi limiter l’apparition de la fatigue mentale.
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Toutefois, les bienfaits de la motivation dans la régulation de la fatigue mentale sont limités. Si les performances peuvent se maintenir dans le temps, la sensation de fatigue, elle, augmente [9], réduisant notre bien-être. La motivation ne suffira plus pour contrebalancer les effets dus à l’épuisement des ressources mentales, et il faudra craindre des impacts négatifs importants sur la santé et la récupération des travailleur·se·s et sur la performance [10].
Ce qu’il faut retenir
Phénomène fréquent au travail, la fatigue mentale et ses effets négatifs est un sujet central pour les organisations comme pour les collaborateur·rice·s. En tant que tel, il doit être réfléchi par les collectifs (entreprises, équipes), pour enclencher la mise en place de pratiques vertueuses et assurer un quotidien au travail serein et efficace pour tou·te·s.
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[1] BVA, “Les salariés et les pauses en entreprise”, 2017.
[2] P. Qi et al., Neural Mechanisms of Mental Fatigue Revisited: New Insights from the Brain Connectome, Engineering, vol. 5, no. 2, pp. 276–286, Apr. 2019, doi: 10.1016/j.eng.2018.11.025.
[3] T. Jacquet, B. Poulin-Charronnat, P. Bard, J. Perra, and R. Lepers, Physical Activity and Music to Counteract Mental Fatigue, Neuroscience, vol. 478, pp. 75–88, Dec. 2021, doi: 10.1016/j.neuroscience.2021.09.019.
[4] B. Blain, G. Hollard, and M. Pessiglione, Neural Mechanisms underlying the Impact of Daylong Cognitive Work on Economic Decisions, PNAS, vol. 113, no. 25, pp. 6967–6972, Jun. 2016, doi: 10.1073/pnas.1520527113.
[5] S.-Y. Cheng and H.-T. Hsu, Mental Fatigue Measurement Using EEG. IntechOpen, 2011. doi: 10.5772/16376.
[6] M. B. Herlambang, N. A. Taatgen, and F. Cnossen, Modeling Motivation Using Goal Competition in Mental Fatigue Studies, Journal of Mathematical Psychology, vol. 102, p. 102540, Jun. 2021, doi: 10.1016/j.jmp.2021.102540.
[7] P. Qi, L. Gao, J. Meng, N. Thakor, A. Bezerianos, and Y. Sun, Effects of Rest-Break on Mental Fatigue Recovery Determined by a Novel Temporal Brain Network Analysis of Dynamic Functional Connectivity, IEEE Trans Neural Syst Rehabil Eng, vol. 28, no. 1, pp. 62–71, Jan. 2020, doi: 10.1109/TNSRE.2019.2953315.
[8] K. E. Lee, K. J. H. Williams, L. D. Sargent, N. S. G. Williams, and K. A. Johnson, 40-Second Green Roof Views Sustain Attention: the Role of Micro-Breaks in Attention Restoration, Journal of Environmental Psychology, vol. 42, pp. 182–189, Jun. 2015, doi: 10.1016/j.jenvp.2015.04.003.
[9] M. B. Herlambang, N. A. Taatgen, and F. Cnossen, The Role of Motivation as a Factor in Mental Fatigue, Hum Factors, vol. 61, no. 7, pp. 1171–1185, Nov. 2019, doi: 10.1177/0018720819828569.
[10] M. A. S. Boksem and M. Tops, Mental Fatigue: Costs and Benefits, Brain Res Rev, vol. 59, no. 1, pp. 125–139, Nov. 2008, doi: 10.1016/j.brainresrev.2008.07.001.