Quand l’effort justement dosé renforce la motivation.

#Renforcer l’engagement des salarié.es

Vous est-il arrivé de regarder votre agenda de travail le matin, et vous sentir accablé·e par l’ampleur de ce que vous aviez à faire… et de ne pas avoir l’énergie, la motivation pour y faire face ? C’est typiquement ce qu’on appelle un sentiment d’effort non équilibré : trop de choses à faire par rapport aux ressources mentales et temporelles dont vous disposez. Et ce sentiment est un véritable frein à la motivation au travail.
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Jordany Lacombe

Publié le 25 mars 2024

Équilibre entre effort et motivation pour une performance durable.

Qu’est-ce que l’effort du point de vue des sciences cognitives ? 

L’effort correspond à l’intensité du travail mental ou physique qu’un individu fournit pour accomplir une tâche. Il s’agit donc d’un processus intentionnel : nous mobilisons un effort de façon active et volontaire en vue atteindre un but précis, d’obtenir un résultat.

La notion d’effort à mobiliser pour accomplir une tâche recouvre plusieurs éléments : le temps à investir, l’énergie à déployer (aussi bien mentale que physique), et la quantité de travail à accomplir (le nombre d’étapes et de sous-tâches à réaliser). En général, nous interprétons l’effort déployé par nos pairs comme le reflet de leur engagement ou dévouement au travail.

Mais pour évaluer l’effort que nous sommes prêt·e à investir, nous nous reposons sur d’autres indicateurs.

Comment nous l'évaluons dans la réalisation d'une tâche ?

Tout d’abord, pour évaluer l’intensité de l’effort dans l’accomplissement d’une tâche, nous nous reposons sur plusieurs paramètres :

 Notre niveau de maitrise à un instant *t*, ce qui revient à se poser la question : “est-ce que je sais faire cette tâche avec les savoirs et savoir-faire dont je dispose actuellement ?” Nous analysons alors l’alignement entre l’objectif de la tâche et notre capacité actuelle pour la faire.

– le coût cognitif ou la complexité cognitive de la tâche, c’est-à-dire les exigences en matière d’attention, de mémoire et de traitement de l’information, de prise de décision, etc. Autrement dit : “à quel point la tâche mobilise-t-elle mes ressources cognitives et avec quelle ampleur ?” Typiquement, nous estimons un coût cognitif plus faible pour une tâche très automatique – voire monotone-, par rapport à une tâche plus complexe de décision ou de résolution de problème. De la même façon, le coût est faible pour une tâche connue, et plus élevé pour une tâche nouvelle que nous n’avons jamais réalisée. Et notre niveau de fatigue va également influencer l’estimation de ce coût cognitif [1].

– le contrôle que nous avons sur les moyens et ressources à disposition pour nous aider dans la réalisation efficace de cette tâche. En général, cette estimation repose à la fois sur les outils proposés, le temps disponible, mais aussi le soutien et la présence de nos pairs. Et nous n’avons pas toujours la marge de manoeuvre pour accéder à tout cela au travail [2].

 

Pour décider de nous lancer ou non dans une action, notre cerveau s’appuie sur l’évaluation – consciente ou non – de ces paramètres. Nous estimons également les conséquences et bénéfices éventuels qui résulteront de nos efforts. C’est ensuite cette balance bénéfice/ effort qui nous pousse à agir [3]

 

Aussi bien sur le plan neurophysiologique que comportemental, nous aurions tendance à éviter une tâche lorsqu’elle nécessite un effort trop important, jugé comme désagréable et non pertinent [4]. En effet, les tâches nécessitant un certain effort augmentent généralement l’activité du système nerveux sympathique, qui prépare l’organisme à relever un défi de nature physique ou psychologique. Cette activité accrue est en fait le reflet d’une réponse affective “aversive” face à ce type de tâche, associée à des sentiments d’anxiété, de stress, de fatigue et de frustration. Et lorsque nous avons le choix entre plus options nous permettant d’obtenir des récompenses similaires, nous apprenons très tôt à éviter les actions qui nécessitent plus de travail ou d’effort [5]. Nous faisons donc preuve d’un grand pragmatisme quand il s’agit de décider si nous allons ou non nous engager dans une nouvelle tâche !

Quand l’effort soutient le passage à l’action 

Mais attention, la relation entre intensité de l’effort et propension à réaliser une tâche n’est pas si linéaire que cela. En effet, sous certaines circonstances, l’effort perçu augmenterait la valeur des objectifs que nous poursuivons, et cet effort nécessaire peut être gratifiant en soi, ce qui nous donne envie de réaliser une tâche. Autrement dit : nous pouvons attribuer une plus grande valeur aux résultats obtenus en produisant un certain effort (par exemple, s’intégrer dans un groupe, décrocher un appel à projet, un nouvel emploi, …) par rapport à des résultats identiques obtenus avec moins d’effort (par exemple, comme des gains inattendus qui seraient obtenus par chance, sans action de notre part). Il y aurait également une dimension individuelle dans la valeur attribuée à l’effort : certaines personnes poursuivent et apprécient les activités cognitives exigeantes pour elles-mêmes, comme un défi source de récompense [4].

De plus, de récentes recherches ont montré qu’un autre paramètre pouvait influencer notre perception de l’effort dans l’accomplissement d’une tâche : c’est l’intérêt découlant du plaisir inhérent que nous ressentons en faisant cette tâche [6]. En effet, lorsque la tâche est associée à une sensation de plaisir, l’effort peut ne plus être considéré comme “coûteux”. L’intérêt module donc notre perception de l’effort, ce qui en retour influence notre motivation à s’engager dans une tâche. Dans le cadre du travail, c’est ce que nous pouvons ressentir quand nous accomplissons des tâches particulièrement couteuses en effort, mais avec des collègues que nous apprécions et avec qui nous avons grand plaisir à interagir, rendant la tâche plus agréable à accomplir.

Vers un effort “désirable” pour maintenir la motivation

Même si notre rapport à l’effort est plus relatif qu’il n’y parait, et il peut même devenir dans certain cas un “boost” motivationnel, nous sommes prêt·es à fournir un effort jusqu’à une certaine limite. Tout objectif nécessitant un effort supplémentaire au-delà de cette limite sera dévalué plutôt que recherché. De même, un bénéfice attendu trop faible par rapport au coût de l’effort à investir, sera un frein à notre motivation. Conclusion : quand un déséquilibre survient dans la balance “effort/bénéfices”, notre propension à nous engager dans une tâche faiblit. Au travail, c’est ce qui peut finir par arriver lorsque nous ne percevons pas le fruit de nos efforts, que les projets s’éternisent, ou que nous avons l’expérience de certains échecs.

La recherche suggère que lorsque nous ressentons un effort au juste niveau en accomplissant une tâche donnée, serait plus susceptible de générer des émotions positives telles que le plaisir et la satisfaction. En effet ce sentiment d’effort équilibré est plus susceptible de conduire à des sentiments de réussite, de maîtrise et de compétence, qui sont des facteurs importants de la motivation intrinsèque.

Dans le contexte du travail, il existe donc un équilibre à trouver entre un certain challenge qui nous motive dans la durée, et un effort trop important – lorsque les exigences ou les contraintes imposées augmentent – qui peut nous décourager. Pour cela, un des premiers leviers est de s’assurer qu’en tant que salarié·es, nous disposons bien des compétences nécessaires pour nos missions, mais aussi des ressources cognitives suffisantes (ce qui implique des temps de récupération respectés), d’un certain niveau de contrôle sur les tâches à réaliser et l’accès à des outils ou personnes ressources pour nous accompagner. Si en plus de cela, nous ressentons un intérêt personnel à réaliser nos missions, alors il nous sera d’autant plus facile de nous engager dans un effort élevé. Mais à condition que ces efforts restent sur une durée limitée dans le temps avant d’en percevoir les retombées, ou d’en tirer des bénéfices -pour soi ou pour les autres- tangibles dans notre quotidien de travail.

Retrouver l’ensemble de notre série d’article sur la motivation au travail en suivant ce lien.

Références

 [1] Robinson, P. (2001). Individual differences, cognitive abilities, aptitude complexes and learning conditions in second language acquisition. Second language research*, 17(4), 368-392.

[2] Mangos, P. M., & Steele-Johnson, D. (2001). The role of subjective task complexity in goal orientation, self-efficacy, and performance relations. Human performance, 14(2), 169-185.

[3] Vassena, E., Silvetti, M., Boehler, C. N., Achten, E., Fias, W., & Verguts, T. (2014). Overlapping neural systems represent cognitive effort and reward anticipation. *PLoS One, 9(3), e91008.

[4] Inzlicht, M., Shenhav, A., & Olivola, C. Y. (2018). The effort paradox: Effort is both costly and valued. Trends in cognitive sciences, 22(4), 337-349.

[5] Gaspard, H., Dicke, A. L., Flunger, B., Schreier, B., Häfner, I., Trautwein, U., & Nagengast, B. (2015). More value through greater differentiation: Gender differences in value beliefs about math. Journal of educational psychology, 107(3), 663.

[6] Song, J., Kim, S. I., & Bong, M. (2019). The more interest, the less effort cost perception and effort avoidance. Frontiers in Psychology, 10, 2146

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