Le numérique, futur allié de notre concentration au travail ?

#Améliorer la QVT et prévenir les risques psychosociaux

Les outils numériques pourraient-ils – paradoxalement – nous aider à préserver notre concentration ? C’est ce que suggère la recherche en sciences cognitives via la création d’outils pour réduire les interruptions de notre activité au travail et leurs effets délétères.
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Publié le 12 septembre 2019

Quatre-vingts. C’est, en moyenne, le nombre de mails que nous recevrions par jour dans le cadre de notre activité professionnelle [1]. À quoi il faut ajouter que nous serions interrompu·e·s toutes les cinq minutes environ [2]. Ces interruptions entraîneraient une baisse de notre productivité et de notre bien-être [3]. En cause, les moyens de communication numériques, pourvoyeurs d’interruptions multiples.

Des outils de sensibilisation à nos usages numériques déjà disponibles

Les entreprises de services technologiques l’ont bien compris : la régulation de l’utilisation des outils numériques s’impose comme un enjeu fondamental. Certaines proposent d’ailleurs des « Service de bien-être numérique » (Google) et autre « Temps d’écran » (Apple). Objectifs : contenir les impacts néfastes de l’hyperconnexion et nous sensibiliser à notre utilisation de ces outils via des options de déconnexion, par exemple.

Dans le cadre d’usages réfléchis, les outils numériques pourraient-ils – paradoxalement – nous aider à préserver notre concentration ? La recherche en sciences cognitives s’intéresse aussi à cette question via la création d’outils innovants pour réduire le nombre d’interruptions ou leurs effets délétères.

Analyser l’activité numérique pour adapter les sollicitations

Sachant que les interruptions les plus délétères interviendraient lorsque nous traitons un grand nombre d’informations, autrement dit lorsque notre charge cognitive est élevée [4] des équipes de chercheur·e·s ont développé des outils qui enregistrent notre activité, afin d’identifier en temps réel les bons et les mauvais moments d’interruption.

Une équipe américano-suisse a ainsi développé Flowlight, un système qui mesure la charge cognitive des collaborateur·rice·s en lien avec leur activité. [5] En calculant le nombre d’interactions qu’ils et elles ont avec leur ordinateur et en utilisant leur calendrier prévisionnel, un algorithme décide en temps réel s’ils et elles peuvent être interrompus : un voyant vert s’allume sur l’espace de travail si la personne est disponible, un voyant rouge si la personne est en activité et ne doit pas être dérangée. Les chercheur·e·s ont observé que les collaborateur·rice·s participant à l’étude étaient deux fois moins interrompu·e·s qu’auparavant, et ce dès la première semaine. Quelque 50% des participant·e·s rapportaient être moins interrompu·e·s à des moments inopportuns, et se sentaient plus productif·ve·s avec ce système. Cette solution est toutefois limitée car l’activité professionnelle n’est pas uniquement numérique ou systématiquement inscrite sur un agenda, et être interrompu·e au cours d’un raisonnement ou au milieu d’une activité est tout aussi dommageable.

Évaluer la charge cognitive

Une équipe néerlandaise a plus récemment créé une technique similaire mais qui pallie les limites de Flowlight. [6] Les chercheur·e·s sont parti·e·s du constat que le diamètre de la pupille peut être un indicateur de la charge cognitive, la pupille étant moins dilatée lorsque la charge cognitive est faible. Ainsi, ils ont équipé des participant·e·s d’un oculomètre mesurant la dilatation de leurs pupilles et les ont interrompu·e·s au cours de leur activité, soit lorsque leurs pupilles étaient peu dilatées, soit à des moments aléatoires.

Les résultats de l’étude ont montré que les participant·e·s mettaient moins de temps pour faire la tâche principale lorsqu’elle avait été interrompue à un moment de faible charge cognitive (lorsque leur pupille était peu dilatée). Cette étude suggère donc que se servir du diamètre de la pupille pour mesurer la charge cognitive permettrait d’écarter efficacement les interruptions intervenant à des moments où la charge cognitive est trop élevée. Cependant, cette technique n’est pas encore utilisable actuellement en condition réelle car on sait que de multiples facteurs exercent une influence sur la dilatation de la pupille (comme la luminosité ou les émotions que l’on ressent), sans parler du fait que les oculomètres ne sont pas encore des instruments pratiques à utiliser au quotidien.

Si des technologies sont en mesure d’éviter ou de différer les sollicitations extérieures, certains postes fonctionnent avec les interruptions (les standardistes, les managers d’équipe, etc.). Certain·e·s chercheur·e·s ont donc tenté de trouver des solutions pour réduire les effets des interruptions qui ne peuvent être différées.

Une assistance pour faciliter le retour à la tâche interrompue

Des chercheur·e·s se sont intéressé·e·s aux causes des effets négatifs des interruptions : la reprise de la tâche interrompue crée un délai supplémentaire qui n’existe pas lorsqu’une activité n’est pas interrompue [7], ce qui peut nous amener à commettre des erreurs, à perdre du temps ou à nous mettre en danger. En effet, reprendre une tâche interrompue nécessite de se souvenir de ce qui a été accompli avant l’interruption et de recontextualiser la situation. L’un des moyens de réduire l’effet des interruptions serait donc d’aider les individus à se remémorer le contexte et l’action en cours avant l’interruption.

Une équipe américaine spécialisée dans la gestion des interruptions a justement testé cette hypothèse en créant une aide à la reprise de la tâche interrompue [8]. Les participant·e·s devaient lire une histoire puis la résumer à l’oral. Ils et elles étaient parfois interrompu·e·s au milieu de leur résumé, diminuant le nombre d’éléments qu’ils et elles pouvaient rapporter.

Pour pallier cette perte de souvenir, les chercheur·e·s ont créé un robot programmé pour relancer au bon moment les participant·e·s sur une partie de l’histoire. Les résultats ont montré que les participant·e·s donnaient effectivement plus de détails avec le robot. Ainsi, être interrompu·e diminue les performances mnésiques, mais recevoir des indices, programmés par ordinateur, peut limiter cette perte.

S’appuyer sur un historique pour reprendre la tâche interrompue

Une autre équipe de chercheur·e·s a imaginé une solution où les individus eux-mêmes doivent trouver les informations qui leur manquent pour recommencer la tâche interrompue [9]. Au cours d’un jeu sur ordinateur, les participant·e·s étaient parfois interrompu·e·s avant de prendre une décision importante. Toutes les actions effectuées étaient sauvegardées et consultables. Avec cette aide numérique, les participant·e·s étaient plus performant·e·s s et prenaient de meilleures décisions, surtout dans le cas de décisions complexes (un choix à faire parmi plusieurs).

Ainsi, que l’individu soit actif ou passif, le rappel d’informations et la recontextualisation de la tâche interrompue au moment de la reprendre semblent améliorés grâce à des aides numériques, mais à condition qu’elles soient suffisamment pertinentes, bien programmées, facilement et rapidement accessibles.

Quels outils pour mieux gérer les interruptions, et pour quels métiers ?

Imaginons : vous devez finir un rapport pour la fin de la journée. Vous y travaillez depuis une dizaine de minutes quand vous recevez une notification : une demande d’un collègue. Que faire ? Répondre au collègue que vous lui ferez signe une fois votre tâche finie – après tout, les interruptions font chuter votre efficacité, n’est-ce pas ? A moins que le sujet soit pl

S’ils semblent prometteurs, ces outils sont encore expérimentaux et leur application dans le quotidien de travail n’est pas encore d’actualité. Y arriverons-nous un jour – et est-il souhaitable que nous y parvenions ? On pourrait imaginer que, d’ici à quelques années, notre poste de travail et nous-mêmes serons équipés de capteurs enregistrant notre activité, que nous porterons des lentilles, lunettes, ou oreillettes connectées qui nous aideront à reprendre la tâche interrompue. Ces technologies potentiellement pertinentes pour des métiers pour lesquels les interruptions sont un réel enjeu de sécurité (comme pour les métiers de l’industrie ou de la surveillance) paraissent extrêmes pour les métiers de bureau. Nous pouvons en effet adopter des comportements simples pour réguler nos pratiques de connexion et limiter les interruptions : supprimer les notifications push, basculer en mode avion lorsqu’on a besoin d’être concentré·e, ou avoir la possibilité de changer de salle en fonction de son activité.

us complexe qu’il n’y paraît. Il se pourrait même que certaines interruptions aient des aspects positifs. Le point avec l’éclairage des neurosciences.

 

Références

[1] G. Mark, S. Iqbal, M. Czerwinski, P. Johns, A. Sano, Email Duration, Batching and Self-interruption: Patterns of Email Use on Productivity and Stress, Microsoft Research. (2016). https://doi.org/10.1145/2858036.2858262.
[2] T.W. Jackson, R. Dawson, D. Wilson, Understanding Email Interaction Increases Organizational Productivity, Commun. ACM. 46 (2003) 80–84.

[3] E.R. Sykes, Interruptions in the workplace: A case study to reduce their effects, International Journal of Information Management. 31 (2011) 385–394.

[4] Y. Miyata, D.A. Norman, Psychological Issues in Support of Multiple Activities, in: User Centered System Design, Lawrence Erlbaum, Hillsdale, USA, 1986: pp. 265–284.

[5] M. Züger, C. Corley, A.N. Meyer, B. Li, T. Fritz, D. Shepherd, V. Augustine, P. Francis, N. Kraft, W. Snipes, Reducing Interruptions at Work: A Large-Scale Field Study of FlowLight, in: Proceedings of the 2017 CHI Conference on Human Factors in Computing Systems, ACM, New York, NY, USA, 2017: pp. 61–72.

[6] I. Katidioti, J.P. Borst, D.J.B. de Haan, T. Pepping, M.K. van Vugt, N.A. Taatgen, Interrupted by Your Pupil: An Interruption Management System Based on Pupil Dilation, International Journal of Human–Computer Interaction. 32 (2016) 791–801.

[7] E.M. Altmann, J.G. Trafton, Memory for Goals: an Activation-Based Model, Cognitive Science. 26 (2002) 39–83.

[8] J.G. Trafton, A. Jacobs, A.M. Harrison, Building and Verifying a Predictive Model of Interruption Resumption, Proceedings of the IEEE. 100 (2012) 648–659.

[9] F. Sasangohar, S.D. Scott, M.L. Cummings, Supervisory-level Interruption Recovery in Time-Critical Control Tasks, Applied Ergonomics. 45 (2014) 1148–1156.

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