Pourquoi – et comment – éviter le multitâche en « visio » ?

#La charge mentale

Mode de communication numéro 1 dans notre quotidien au travail, la « visio » se couple souvent avec une pratique qui n’est pas sans risques : le multitâche. Comment l’éviter ? Réponses avec les sciences cognitives.
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Publié le 10 septembre 2020

Avec la pandémie mondiale et le confinement associé, la visioconférence est devenue l’outil de communication principal pour des millions d’individus : discussion à deux ou plus, réunion, formation virtuelle ou encore apéro-zoom… La « visio » est aujourd’hui le vecteur social principal dans le cadre de nos relations professionnelles. Outil plus complet que ses homologues d’échange à distance, la visioconférence semble favoriser une pratique parallèle qui n’est pas sans risques : le mode multitâche [1, 2]. Pourquoi cette pratique est-elle aussi répandue pendant les visioconférences ? Quels en sont les effets et quels facteurs la favorisent ? Enfin, quelles sont les bonnes pratiques à adopter ?

Qu’est-ce que le mode multitâches ?

Le mode multitâche évoque deux comportements, souvent confondus : plusieurs tâches réalisées dans un même temps ; ou bien le fait d’alterner souvent des tâches. Bien que ces deux comportements soient distincts, la littérature scientifique semble indiquer que les effets cognitifs sont similaires. En effet, et contrairement à un neuromythe bien connu, notre cerveau – qu’on soit homme ou femme – n’est pas capable de se focaliser efficacement sur deux tâches en même temps (même s’il existe des exceptions pour des tâches très simples ou automatisées). Quand on essaye de réaliser deux tâches en parallèle, nous ne faisons en réalité qu’alterner très rapidement une tâche puis l’autre.

Cette incapacité à travailler efficacement en mode multitâche a inévitablement un impact négatif sur notre efficacité à compléter plusieurs tâches en cours. Thomas Buser et Noemi Peter [3] ont par exemple démontré que des participant·e·s devant compléter deux tâches distinctes étaient plus efficaces lorsque les tâches étaient complétées l’une après l’autre (mode monotâche) plutôt qu’en parallèle (mode multitâche). Selon les auteur·e·s, le mode multitâche induit un grand nombre d’alternance d’une tâche à l’autre, conduisant à une perte de temps et d’informations (être focalisé·e sur la tâche A nous empêche de capter et traiter efficacement les informations de la tâche B). [4]

Le mode multitâche en visioconférence

En visioconférence, notre propension à faire du multitâches serait relativement élevée. Une étude de 2017 indique par exemple qu’environ un tiers des réunions en visioconférence implique d’autres tâches réalisées en parallèle. [2] Le problème est que le mode multitâchesen visioconférence favorise l’apparition d’un trouble très médiatisé pendant la crise sanitaire : la « Zoom fatigue », autrement dit une fatigue intense ressentie après une visioconférence. [5] C’est donc un comportement à modérer pour notre bien-être, mais aussi pour la qualité de la réunion et des décisions qui y sont prises.

Le mode multitâche serait plus fréquent durant les visioconférences pour au moins trois raisons :

  • contrairement à une réunion physique, orienter notre attention vers notre écran pour exécuter une tâche parallèle ne nous détourne pas de notre interlocuteur·rice de façon manifeste (du fait du positionnement de la caméra, ou de la caméra désactivée). Si se consacrer à d’autres tâches pourrait être socialement moins accepté lors d’une réunion physique, maintenir le regard en direction de l’interlocuteur·rice étant la norme, la visioconférence peut faciliter cette pratique ;
  • la visioconférence force de fait à être devant son ordinateur, source importante de sollicitations ou distractions ; nous avons donc tendance à répondre aux messages ou aux e-mails reçus, ou à nous engager dans une tierce activité numérique ;
  • une grande partie des interactions sociales se font désormais en visioconférence, remplissant ainsi l’agenda de réunions pas toujours utiles ou pertinentes au détriment d’autres tâches qui sont donc complétées pendant les « visios ».

Une équipe de chercheur·se·s a également recensé des paramètres intrinsèques aux réunions qui favorise le mode multitâche [2] : il y aurait ainsi plus de multitâche dans les réunions longues, dans celles qui réunissent de nombreux participant·e·s, dans les réunions du matin, dans celles du lundi ou encore dans les réunions récurrentes (programmées toutes les semaines, par exemple).

Ces constats pourraient être expliqués par les raisons données précédemment. Le matin ou le lundi, nous avons plus de mails ou de tâches à traiter que le vendredi ou en fin de journée. De la même façon, plus le nombre de participant·e·s augmente, moins la parole est distribuée et moins l’attention est portée sur nous : notre engagement peut diminuer et nous sommes plus enclins à faire d’autres tâches.

Comment mieux organiser nos visioconférences ?

L’outil comporte des désagréments qui limitent son efficacité dans certaines situations. [5] Pour autant, la visioconférence reste le mode de communication qui transmet le plus d’informations verbales comme non-verbales, et assure des interactions sociales de qualité (après les réunions physiques). Il faudrait donc revoir l’utilisation de l’outil et l’organisation des réunions pour réduire au maximum le mode multitâche.

A partir des causes du mode multitâche apparaissent de bonnes pratiques notamment dans un cadre managérial. Par exemple, pour limiter le faible engagement dans les réunions et le nombre de participant·e·s, les manageur·se·s peuvent s’assurer que la présence de chaque participant·e est bien nécessaire. Un ordre du jour clair transmis avec l’invitation suscite l’engagement des participant·e·s en toute connaissance de cause, tout en assurant que la réunion restera dans le périmètre prédéfini. Il apparaît aussi pertinent de programmer des réunions courtes – ou avec des pauses pour traiter les éventuelles urgences.

Enfin, chacun·e peut limiter les sollicitations numériques durant la visioconférence en fermant sa boîte de réception et en coupant ses notifications.

Pour conclure

Le mode multitâche en visioconférence est essentiellement lié à notre organisation individuelle et collective. De bonnes pratiques, faciles à mettre place, couplées à une astreinte personnelle pour les respecter, limiteront ce mode de travail susceptible de nuire à notre bien-être et à l’efficacité des réunions.

 

Références

[1] E. Peper, V. Wilson, M. Martin, E. Rosegard, and R. Harvey, Avoid Zoom Fatigue, Be Present and Learn, NeuroRegulation, vol. 8, no. 1, pp. 47–47, Mar. 2021, doi: 10.15540/nr.8.1.47.

[2] H. Cao et al., Large Scale Analysis of Multitasking Behavior During Remote Meetings, in Proceedings of the 2021 CHI Conference on Human Factors in Computing Systems, New York, NY, USA: Association for Computing Machinery, 2021, pp. 1–13. Accessed: Aug. 09, 2021. 

[3] T. Buser and N. Peter, Multitasking, Exp Econ, vol. 15, no. 4, pp. 641–655, Mar. 2012, doi: 10.1007/s10683-012-9318-8.

[4] D. Kahneman, Attention and Effort. Prentice-Hall, 1973.

[5] J. N. Bailenson, Nonverbal Overload: A Theoretical Argument for the Causes of Zoom Fatigue, Technology, Mind, and Behavior, vol.2, no. 1, Feb. 2021, doi: 10.1037/tmb0000030.

 

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