Comment notre groupe social réduit nos performances

#Les collectifs de travail

Incompatibilité femmes/sciences, hommes/sensibilité, milieu défavorisé/études… Vous est-il déjà arrivé que la simple mention d’un stéréotype lié à votre groupe social fasse chuter votre efficacité ? Cette « menace du stéréotype » s’invite aussi dans les process de recrutement et de formation. Explications.
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Publié le 24 mars 2022

Chômeurs, entrepreneurs, femmes, seniors, hommes, génération Z, etc. Nous appartenons tou·te·s à des groupes sociaux. À l’heure où une prise de conscience pour plus de diversité et d’égalité (notamment entre les genres) est en cours, il est urgent pour les organisations d’intégrer ces sujets à leur réflexion. Car le maintien des stéréotypes, ces classifications qui envisagent des différences entre individus, a des conséquences socio-économiques (salaires, discrimination à l’embauche, etc.). Et un impact sur nos opinions, nos capacités cognitives et nos performances.

Le coût caché des stéréotypes

Autre conséquence – et non des moindres, l’appartenance à un groupe social peut modifier nos capacités cognitives et nos performances, selon la recherche scientifique. Introduite par Claude Steele et Joshua Aronson, la menace du stéréotype désigne le phénomène selon lequel la simple mention du stéréotype avant la réalisation d’une tâche suffit à réduire les résultats de la minorité cible de cette croyance collective.  Nous sommes alors dans les années 1990, dans une Amérique en proie au racisme envers les populations africaines-américaines. Un test, supposé vérifier le fait que les individus noirs seraient moins intelligents que les Blancs, valide la thèse initiale. Mais en changeant l’énoncé et en annonçant un test de logique (sans références, donc, à des stéréotypes raciaux), Steele et Aronson obtiennent alors des résultats d’intelligence identiques pour les deux populations [1].
Ce phénomène de menace du stéréotype, maintes fois reproduit depuis, a été élargi à d’autres minorités : les femmes verraient leurs performances réduites face à un test de mathématiques ou des situations de leadership [2] ; les hommes réputés moins sensibles seraient moins performants dans des tâches affectives [3] ; les étudiants de milieux sociaux défavorisés verraient leurs performances universitaires affaiblies [4], etc.

La menace du stéréotype au sein des process de l’entreprise

Cette menace du stéréotype serait fonction de deux principaux critères : l’intensité du stéréotype négatif et l’intensité de l’enjeu en situation. Pour ces deux raisons, il semble que ce mécanisme soit particulièrement présent dans l’éducation, la formation professionnelle, et lors des processus de recrutement, où l’enjeu évaluatif est maximal. Des données suggèrent ainsi que le fait de rappeler à une personne sa situation – chômage, par exemple, ou handicap – avant la réalisation d’un exercice peut générer une chute des performances à des tests passés lors de l’entretien [5].

Comment nous réagissons face à la menace du stéréotype

Ainsi donc, l’activation d’un stéréotype chez un individu a des conséquences fortement délétères, et ce que l’individu adhère ou non au stéréotype qui lui est attribué. Plusieurs mécanismes expliquent ce phénomène :

  • nos capacités cognitives étant limitées, l’apparition de pensées parasites et une forme d’anxiété viendrait réduire les capacités que nous pourrions allouer à la tâche en question, perturbant le fonctionnement de notre mémoire de travail et augmentant notre charge cognitive [6]
  • le phénomène d’amorçage : lorsqu’une information nous est présentée, elle va activer dans notre cerveau des schémas mentaux dont certains pourront être utilisés dans la réalisation de la tâche, et vont ainsi conditionner, du moins en partie, nos capacités à résoudre cette tâche.

Des stratégies de défense

Pourtant, les individus dans la menace du stéréotype déploient, consciemment ou non, des stratégies pour se protéger. La première est celle de l’évitement. Afin de préserver son identité intacte, l’individu va éviter les domaines dans lesquels il est supposé être déficient : certaines filles vont préférer des filières littéraires ; des chômeurs vont s’éloigner des demandes d’emploi. Prendre conscience de cette stratégie permet de l’éviter, ce qui est bien entendu souhaitable plutôt que de se cantonner dans un espace délimité par des préjugés.

Autre stratégie : renforcer les caractéristiques individuelles d’un candidat ou d’un élève avant la tâche. Nous possédons tous des parts de nos identités extrêmement variables, y compris au sein même d’une minorité. Il a ainsi été montré que mettre l’accent sur ces traits pouvait permettre de réduire la menace du stéréotype [7]. 

Références

[1] Steele, C. M., & Aronson, J. (1995). Stereotype Threat and the Intellectual Test Performance of African Americans.  Journal of Personality and social Psychology69(5), 797.

[2] Bonnot, V., & Croizet, J. C. (2007). Stereotype Internalization and Women’s Math Performance: The Role of Interference in Working Memory.  Journal of Experimental Social Psychology, 43(6), 857-866.

[3] Davies, P. G., Spencer, S. J., & Steele, C. M. (2005). Clearing the Air: Identity Safety Moderates the Effects of Stereotype Threat on Women’s Leadership aspirations.  Journal of Personality and Social Psychology, 88(2), 276.

[4] Leyens, J. P., Désert, M., Croizet, J. C., & Darcis, C. (2000). Stereotype Threat: Are Lower Status and History of Stigmatization Preconditions of Stereotype Threat?.  Personality and Social Psychology Bulletin, 26(10), 1189-1199.

[5] Morchain, P., Louvet, E., Rohmer, O., Mougeat, S., Meudal, M., & Marie, J. (2011). Menace
du stéréotype chez les travailleurs handicapés. Paper presented at the 11ème Congrès
International de Psychologie Sociale Appliquée, Strasbourg, France.

[6] Schmader, T., & Johns, M. (2003). Converging Evidence that Stereotype Threat Reduces Working Memory Capacity.  Journal of personality and social psychology, 85(3), 440.

[7] Désert, M., Croizet, J. C., & Leyens, J. (2002). La menace du stéréotype : une interaction entre situation et identité.  L’année psychologique.

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