Pourquoi être interrompu peut être dommageable
La littérature scientifique sur les interruptions s’accorde sur un point : dans une majorité des cas, être interrompu·e ou interrompre soi-même une tâche en cours est synonyme de perte en efficacité. La tâche interrompue demande plus de temps pour être finalisée, elle comporte davantage d’erreurs, et l’interruption peut la laisser en suspens, sans finalisation. [1]
Interrompre une tâche implique en effet de ne plus s’y consacrer pendant un certain temps, pendant lequel nous conserverions une trace en mémoire des buts et informations de la tâche interrompue. La reprise efficace de cette tâche dépend ainsi de la qualité de cette « trace mnésique », qui se dégrade avec le temps. Ceci explique que nous ayons parfois besoin de temps pour reprendre une tâche interrompue – afin de nous souvenir des tenants et aboutissants de l’action.
Un besoin de contrôle pour se sentir engagé.e
Subir de nombreuses interruptions au quotidien et pratiquer le multitâche avec plusieurs outils de communication réduirait notre engagement au travail. [2] En effet, notre engagement serait lié à notre capacité à réguler nos comportements, qui est, de fait, altérée lorsqu’on subit des interruptions causées par autrui. Ainsi, plus nous sommes interrompu·e·s, moins nous avons le sentiment d’être en contrôle de nos actions, et moins nous sommes engagé·e·s dans notre activité, ou notre travail en général.
Les interruptions sont donc généralement un frein à l’efficacité. Sont-elles pour autant toujours contre-productives, ou peuvent-elles être favorables à notre productivité et/ou à notre bien-être ?
Et si certaines interruptions étaient bénéfiques ?
Autre point à prendre en compte : une interruption peut être une source d’interactions sociales profitables. En effet, les relations entre collaborateurs génèrent de la satisfaction et du bien-être. Une équipe de chercheur·e·s a également montré qu’être interrompu·e par ses collègues envoie un signal de communication et d’entraide, et augmente le sentiment d’appartenance à l’équipe [4].
Enfin, il existe un lien fort entre les interruptions et l’ennui au travail. Notre motivation fluctue au cours de la journée, en fonction de notre état interne (fatigue, stress, etc.) et de la tâche en cours. Les personnes engagées dans des tâches simples ou demandant peu d’attention ressentiraient moins d’ennui quand elles sont interrompues par des événements extérieurs [5]. Leur niveau d’efficacité et de motivation serait ainsi maintenu tout au long de la journée.
Comment profiter du meilleur des interruptions et évacuer le pire ?
Pour éviter les effets délétères des interruptions ou, au contraire, bénéficier de leurs effets positifs, il est possible de mettre en place des actions simples. L’idée est de ne pas se couper complètement des autres, mais de choisir quand nous voulons recevoir les informations. Parmi les actions possibles…
- la suppression des notifications inutiles (publicités, e-mails issus de liste de diffusion, etc.) ;
- la réduction des notifications doublées (le rappel de réunion qui s’affichent sur l’ordinateur et le téléphone).
Deuxième paramètre essentiel : le moment de réception des interruptions. Comme on l’a dit, celui-ci détermine la qualité de l’impact – bénéfique ou délétère. Quand on a besoin de se concentrer sur une seule tâche, aucune interruption ne sera bénéfique. On peut alors envisager de couper toute notification afin de bloquer une « plage de concentration ».
Autre levier d’action possible – selon notre activité : se fixer des heures de relevé d’e-mails (en arrivant le matin, avant de partir déjeuner, et en fin de journée, par exemple ; ou une fois par heure, quand la tâche en cours est terminée). À l’inverse, si la tâche en cours ne nous passionne pas, ou si nous y travaillons depuis longtemps, traiter quelques demandes rapides ou faire une pause en allant discuter avec des collègues permet de regagner de l’énergie pour se relancer sur la tâche fastidieuse.
Prendre le temps de réfléchir aux interruptions de notre quotidien
Nous avons tout à gagner à prendre un moment pour observer et analyser les interruptions qui nous perturbe au quotidien. A partir d’un « état des lieux », il sera possible de faire des choix, d’éliminer d’emblée les notifications inutiles, de délimiter des temps nécessairement sans interruption. En maîtrise, on se rend alors plus efficace mais aussi plus disponible. Productivité et bien-être en sortent gagnants.
Rédigé par Paul Brazzolotto, docteur en psychologie cognitive
Références
[1] V. M. González and G. Mark, Constant, Constant, Multi-tasking Craziness: Managing Multiple Working Spheres, in Proceedings of the SIGCHI Conference on Human Factors in Computing Systems, New York, NY, USA, 2004, pp. 113–120. doi: 10.1145/985692.985707.
[2] M. A. Orhan, S. Castellano, I. Khelladi, L. Marinelli, and F. Monge, Technology Distraction at Work. Inpacts on Self-Regulation and Work Engagement,[Ui1] Journal of Business Research, vol. 126, pp. 341–349, Mar. 2021, doi: 10.1016/j.jbusres.2020.12.048.
[3] C. Couffe and G. A. Michael, Failures Due to Interruptions or Distractions: A Review and a New Framework, The American Journal of Psychology, vol. 130, no. 2, pp. 163–181, 2017, doi: 10.5406/amerjpsyc.130.2.0163.
[4] H. Puranik, J. Koopman, and H. C. Vough, Excuse Me, Do You Have a Minute? An Exploration of the Dark – and Bright – Side Effects of Daily Work Interruptions for Employee Well-Being,[Ui2] Journal of Applied Psychology, vol. 106, pp. 1867–1884, 2021, doi: 10.1037/apl0000875.
[5] C. D. Fisher, Effects of External and Internal Interruptions on Boredom at Work: Two Studies Effects of external and internal interruptions on boredom at work: two studies, Journal of Organizational Behavior, vol. 19, no. 5, pp. 503–522, 1998, doi: 10.1002/(SICI)1099-1379(199809)19:5<503::AID-JOB854>3.0.CO;2-9.