Vous arrive-t-il de remettre à plus tard une tâche que vous aviez planifiée depuis des jours ? De bifurquer vers une activité ou une autre alors que – vous le savez – il faudrait vraiment que vous vous y mettiez ? Si la réponse est oui, alors vous êtes concerné·e par la procrastination : le fait de retarder l’initiation ou l’achèvement d’une action prévue sans en avoir l’intention. Quelque 20% de personnes adultes disent procrastiner fréquemment [1]. Et 85% des Français·e·s reconnaissent procrastiner pour les activités physiques et sportives, l’entretien de son logement, la résiliation d’abonnements inutiles, mais aussi pour leurs rendez-vous médicaux – preuve que la procrastination est partout [2].
Que se passe-t-il dans notre cerveau quand nous procrastinons ? S’agit-il d’une défaillance comportementale humaine courante comme le laissent entendre les nombreux récits et essais sur le sujet ? Comment composer avec ce phénomène au travail ?
Aux origines de la motivation avec les sciences cognitives
La procrastination est, selon la recherche en sciences cognitives, un défaut d’auto-régulation : notre cerveau arbitre le choix – sans que nous en ayons forcément conscience – de commencer ou différer une activité, ceci en fonction d’un ensemble de facteurs [1] :
- Le positif ou le négatif lié à la tâche elle-même : c’est la « valence émotionnelle ». Si on se connecte au fil What’s app dédié aux blagues de nos collègues, elle sera probablement positive ; mais si l’activité est perçue comme désagréable au point qu’on préfère ne pas s’y confronter alors la valence émotionnelle est négative.
- Le résultat espéré au regard de l’effort à investir : si la perspective de réussite est grande, ou si notre expérience nous a démontré que nos efforts nous mènent à l’accomplissement de nos objectifs, nous nous engagerons facilement dans la tâche ; c’est le cas pour les activités de notre quotidien professionnel qu’on maîtrise parfaitement.
Au contraire, un sentiment d’auto-efficacité faible, la peur de l’échec, le perfectionnisme ou l’anxiété liée à l’évaluation qui nous attend, peuvent être des freins à notre mise en route. - Le délai avant de voir les retombées de cette action. Les recherches en économie comportementale montrent que dans un choix inter-temporel (une option permet d’obtenir quelque chose d’une valeur élevée mais dans un délai long, et l’autre une valeur moindre mais dans un délai plus court), nous avons une préférence pour le présent. Fournir un effort pour en récolter tout de suite les fruits, comme traiter un mail non urgent, peut donc être une option préférable plutôt que de s’investir dans un projet de long terme.
La tolérance au délai varie entre les individus. Les personnes ayant un trait de personnalité plus impulsif rechercheraient davantage la gratification immédiate au détriment de récompenses plus lointaines, et seraient ainsi plus promptes à procrastiner.
La procrastination, ça a aussi du bon !
La procrastination est massivement liée à une baisse de performances. Mais elle peut aussi s’avérer utile car elle crée un possible délai de réflexion. Quand on procrastine, on ne se précipite pas. Et on est en mesure de collecter davantage d’informations avant de s’atteler à nouveau à la tâche. En condition d’incertitude, où beaucoup d’informations sont manquantes, cette période « d’incubation » serait particulièrement efficace pour des tâches créatives, nécessitant de trouver une solution pertinente à un problème complexe [3].
Tout est une question d’équilibre. Quand la procrastination s’installe, elle affecte également les tâches créatives. C’est un jeu dangereux, car lorsque la procrastination impacte négativement nos performances (par manque de temps pour terminer, ajuster, approfondir), nous voyons diminuer notre sentiment d’efficacité et de satisfaction sur ce type d’activité, renforçant le risque de procrastination ultérieure.
Enfin, la procrastination est associée au stress et à l’anxiété, des ressentis désagréables dont on se passerait bien dans notre quotidien.
Comment chasser cette mauvaise habitude ?
Selon la recherche en psychologie expérimentale, des interventions simples favorisent la baisse de la procrastination.
• Nous pouvons réduire nos incertitudes grâce à une montée en compétence, par exemple en observant un collègue. Réussir la tâche sur laquelle nous avons appris réduira la procrastination ultérieure.
• Concernant le délai, le fait de se donner des sous-objectifs à atteindre à très court terme (dans les prochaines minutes ou à planifier chaque jour), aide à passer à l’action. Se fixer des dates limites intermédiaires, impliquant notamment un échange avec d’autres collaborateurs, est un excellent moyen d’atteindre nos objectifs.
• Enfin, pour agir sur la tolérance au délai, le fait d’avoir moins de « tentations » dans son contexte de travail favorise la diminution de la procrastination. C’est le cas des notifications mails : couper ses notifications ou ne pas afficher en permanence sa boîte mail sur son écran peut faciliter la mise en route de nos tâches prévues.
Et vous, qu’aviez-vous prévu de faire avant de lire cet article ?
Marie Lacroix, docteure en neurosciences et cofondatrice de COG’X.
[1] Steel P (2007) The Nature of Procrastination: A Meta-Analytic and Theoretical Review of Quintessential Self-Regulatory Failure. Psychol Bull 133:65–94.
[2] Les Français et la procrastination. Enquête réalisée en ligne par Odoxa sur un échantillon représentatif de la population française de plus de 18 ans, en février 2019.
[3] Shin J, Grant AM (2021) When Putting Work Off Pays Off: The Curvilinear Relationship Between Procrastination and Creativity. Acad Manag J 64:772–798