Lire aussi :
L’efficacité personnelle perçue, qu’est-ce que c’est ?
Le sentiment d’efficacité personnelle, aussi appelé efficacité personnelle perçue, est un sentiment théorisé pour la première fois par Bandura en 1977, qui y consacrera une grande partie de ses recherches. Il explique que « l’efficacité personnelle perçue concerne la croyance de l’individu en sa capacité d’organiser et d’exécuter la ligne de conduite requise pour produire des résultats souhaités » [1]. Elle consiste donc en une évaluation de ses propres capacités, qui ne correspond pas forcément en ses capacités réelles : c’est un sentiment subjectif, qui peut varier selon les individus et les circonstances.
Par exemple, chaque personne a une certaine perception de ses capacités à courir un marathon, et si vous êtes à peu près sûr·e de ne pas être capable de courir 42 kilomètres – votre efficacité personnelle perçue est donc faible-, vous n’allez pas vous inscrire à ce type de course. Enfin, ce sentiment est estimé sur une tâche précise (par exemple le logiciel qui me permet de faire l’essentiel de mon activité professionnelle), ou peut se généraliser à plusieurs activités similaires (l’ensemble des outils numériques de gestion), voire à tout un domaine d’activité donné (le numérique). Le sentiment d’efficacité personnelle est donc primordial dans le passage à l’action, mais il modifie également la manière de penser, les prises de décision et, plus indirectement, le bien-être.
L’efficacité personnelle perçue est en relation directe avec la motivation. En effet, selon la théorie de l’autodétermination (une des principales théories décrivant la motivation au travail), la motivation intrinsèque est reposée sur la satisfaction du besoin d’appartenance, d’autonomie et, ce qui nous intéresse ici, de compétence. [2] Les individus ont ainsi besoin, pour s’engager dans des activités, de sentir qu’ils en maîtrisent ses différents aspects, avec un sentiment de contrôle sur les évènements qui se produisent : expérimenter le fait que notre comportement a l’influence que l’on souhaite sur notre environnement (un changement de comportements chez nos interlocuteurs, des bons retours sur action, ou encore un projet qui se concrétise) renforce le sentiment d’efficacité personnel. En fonction de son sentiment d’efficacité personnelle, l’individu va prédire sa probable réussite ou son risque d’échec sur l’activité à venir, ce qui va conditionner sa motivation à s’engager dans cette activité et finalement son comportement réel.
Un individu avec un sentiment d’efficacité élevé aura ainsi plus tendance à se réengager dans des activités similaires, et ce même en l’absence de motivation extrinsèque, comme une récompense financière. Nous développons ainsi de l’intérêt pour les activités dans lesquelles nous réussissons, c’est le cas de nos loisirs comme le sport, la musique, l’art par exemple. Avec un sentiment d’efficacité élevé, nous allons aussi nous fixer des objectifs plus ambitieux, nous laisser moins distraire par des perturbations externes et aborderons les difficultés comme des défis à relever (pour plus d’informations, lire notre article Tou·tes gagnant·tes avec l’état d’esprit dynamique au travail). [3]
Comment se forge le sentiment d’auto-efficacité ?
Pour Bandura, l’efficacité personnelle perçue se construit selon 4 facteurs : les expériences passées de réussite ou d’échecs, l’apprentissage par l’observation des pair·es, la persuasion verbale et l’état physiologique et émotionnel [1]. Ce dernier étant peu développé dans la littérature scientifique, nous ne nous attarderons que sur les trois premiers facteurs, pour lesquels il existe des actions spécifiques à mettre en place pour stimuler ce sentiment au travail.
Les expériences passées de réussite
Tout d’abord, le sentiment l’efficacité personnelle serait le résultat des expériences passées, de réussites comme d’échecs. Dans la majorité des situations, l’expérience de réussite sur une tâche donnée (atteinte des objectifs, facilité ou rapidité des actions, etc.) augmente l’efficacité personnelle perçue, là où l’expérience d’échecs la fait diminuer. Ainsi, échouer de multiples fois lors de la réalisation de recette de cuisine, ou, dans un contexte professionnel, parler à l’oral devant plusieurs personnes, peut entrainer une baisse de son sentiment d’efficacité personnelle sur ces tâches. Mais il semblerait que ce schéma ne s’applique pas dans toutes les situations [4]. Un succès important précédé de multiples échecs peut améliorer considérablement et durablement le sentiment d’efficacité personnelle, alors qu’un enchainement de réussite sans effort ne permettra pas de le maintenir en cas d’échec (par exemple rater une prise de parole en public alors qu’on a l’habitude de réussir sans préparation particulière). À l’inverse, une réussite obtenue à la suite d’un effort trop important n’augmentera pas l’efficacité personnelle perçue.
Pour stimuler ce sentiment en vue d’augmenter la motivation, il convient donc de s’engager dans des activités nécessitant un effort équilibré (pour plus d’informations, lire notre article…) par rapport à ses propres compétences. En effet, un effort trop faible risque de générer de l’ennui et un effort trop élevé risque de générer de la frustration. Également, se fixer des objectifs adaptés, atteignables et mesurables contribuent au sentiment de réussite et renforce progressivement ce sentiment.
L’apprentissage par les autres
Ensuite, l’efficacité personnelle perçue serait alimentée par l’observation des autres : c’est ce que Bandura appelle l’apprentissage vicariant. [1] En observant d’autres individus réussir ou échouer sur une tâche donnée, l’individu va forger sa propre estimation de réussite ou d’échec, ce qui influence son sentiment d’efficacité personnelle. L’apprentissage vicariant est d’autant plus fort que les « modèles » que nous observons sont proches de nous (personne de notre âge, genre, culture, niveau socio-économique, etc.). Ainsi, observer un collègue de travail utiliser un logiciel qui nous est inconnu peut augmenter notre sentiment d’efficacité personnelle, d’autant plus si ce collègue a le même niveau d’expérience que nous.
Pour stimuler l’efficacité personnelle perçue en vue d’augmenter la motivation, il convient ainsi de favoriser l’apprentissage social, par exemple via le mentorat ou des binômes, qui permettent de créer des situations d’observation de « modèles » au travail.
La persuasion verbale, à travers les feedbacks
Enfin, le sentiment d’auto-efficacité reposerait sur les feedbacks que l’on reçoit sur notre performance. Ainsi, indépendamment de la réussite ou d’un échec, le discours d’autrui sur notre performance influence notre perception. Cette persuasion verbale dépend de nombreux facteurs, et les conséquences sont variées. Le niveau de crédibilité et d’expertise de l’autre est par exemple important. En effet, recevoir des encouragements d’une personne que l’on considère experte sur son domaine, un·e collègue expérimenté·e, ou un·e formateur·rice, aura plus d’impact sur notre efficacité personnelle perçue que si les encouragements proviennent d’un·e collègue avec peu d’expérience ou d’un service différent. Une étude canadienne a par exemple montré que les feedbacks d’encouragement et de bienveillance de mentor sur des entrepreneur·es novices amélioraient leur sentiment d’efficacité personnelle, principalement si ces dernièr·es percevaient des similitudes avec leur mentor. [5]
Pour stimuler le sentiment d’auto-efficacité en vue d’augmenter la motivation, il convient ainsi de prodiguer des feedbacks de qualité, adaptés à la situation, à la personne à qui on les donne, à sa performance, ses besoins, etc.
Le sentiment d’efficacité personnelle est donc une des clés de la motivation et dépend de plusieurs facteurs à prendre en compte pour favoriser la motivation au travail. Mais la motivation est sous-tendue par d’autres éléments qu’il faut également prendre en compte pour susciter un engagement et un bien-être dans la durée.
Retrouver l’ensemble de notre série d’article sur la motivation au travail en suivant ce lien.
Références
[1] A. Bandura, P. Carré, et J. Lecomte, Auto-efficacité: Le sentiment d’efficacité personnelle, 2e édition. Bruxelles Paris: DE BOECK SUP, 2007. (p. 12)
[2] R. M. Ryan et E. L. Deci, « Intrinsic and extrinsic motivation from a self-determination theory perspective: Definitions, theory, practices, and future directions », Contemp. Educ. Psychol., vol. 61, p. 101860, avr. 2020, doi: 10.1016/j.cedpsych.2020.101860.
[3] J. Lecomte, « Les applications du sentiment d’efficacité personnelle », Savoirs, vol. Hors série, no 5, p. 59‑90, 2004, doi: 10.3917/savo.hs01.0059.
[4] J. C. Hutchinson, T. Sherman, N. Martinovic, et G. Tenenbaum, « The Effect of Manipulated Self-Efficacy on Perceived and Sustained Effort », J. Appl. Sport Psychol., vol. 20, no 4, p. 457‑472, oct. 2008, doi: 10.1080/10413200802351151.
[5] E. St-Jean, M. Radu-Lefebvre, et C. Mathieu, « Can less be more? Mentoring functions, learning goal orientation, and novice entrepreneurs’ self-efficacy », Int. J. Entrep. Behav. Res., vol. 24, no 1, p. 2, janv. 2018, doi: 10.1108/IJEBR-09-2016-0299.